vendredi 22 février 2008

Ticket To Ride

Les liverpuldiens sont des gens étonnants.
Non contents d'habiter dans une région reculée de la Grande-Bretagne, ils sont également réputés pour leur fâcheuse tendance à révolutionner, sinon l'Europe, le monde entier. En effet, et l'on ne s'y attardera pas ici, l'équipe de football de Liverpool a remporté à de nombreuses reprises (cinq) le titre de championne d'Europe. Evidemment, ça n'intéresse pas grand monde, mais ne pas parler de football dans un blog anglais, c'est comme manquer d'évoquer le carnaval quand on mentionne Rio.

Le liverpuldien est avant tout sympathique. Il n'hésite pas à accompagner son invité lorsque celui-ci lui demande son chemin, et que sa destination se trouve à plus de quinze minutes de marche de l'endroit où il se trouve. Force est de constater que, pour se rendre à un pub, le liverpuldien se fait étonnamment serviable ; de même, pour indiquer la gare, il n'hésite pas à prendre sur son temps pour nous faire découvrir les quelques rues alentour qui nous mènent à notre destination.


Le liverpuldien a un accent très marqué. Non content de prononcer le nom de sa ville de la manière suivante "Liveuhpaule", le liverpuldien s'exprime en emboîtant les mots dans sa phrase, un peu comme un Lego. C'est-à-dire que le mot suivant se retrouve en fait dans le premier, et ainsi de suite. Au lieu de dire "Hi, how can I help you?", il dira quelque chose comme : "Hihawkhanaillehèlpe you" ? Ca ne fait pas foncièrement de lui quelqu'un à rejeter en bloc, mais tout de même, il y a des choses qui ne se font pas.


Le liverpuldien est également peu frileux. Même par grand soleil. Même par grand froid. Et même quels que soient le temps ou la température extérieure. C'est ainsi qu'au détour d'une rue piétonne, qu'il foule d'un pas absolument sans importance et que la musique d'un guitariste moustachu anime avec véhémence, on croise sans se froisser les yeux ou autre chose des filles dont les mini-jupes feraient presque illusion, tant le manque de tissu sur leur corps est aussi évident que l'absence de talent chez une recrue de Popstars. Cet aspect vestimentaire n'est heureusement pas l'apanage de la gent féminine uniquement ; et que les sexistes de tout poil (c'est le cas de le dire) veulent bien se rassurer : les hommes sont tout aussi ridicules dans leurs vêtements aussi serrés qu'un café à la machine du deuxième. C'est bien simple, à part la sagesse de la jeunesse, on n'a jamais rien vu d'aussi étriqué que leurs jeans et t-shirts. Mais n'en tenons pas rigueur à ces campagnards qui n'ont pas eu la chance de naître dans une grande ville.

Malgré cela, le liverpuldien a un petit quelque chose en plus. Un grand petit quelque chose. Il est capable de chantonner sous sa douche, dans sa chambre, dans sa cave, voire dans la rue. Et lorsqu'il chante dans la rue, et que son voisin apprécie sa chanson, alors celui-ci la répète à son tour. Et il faut reconnaître au liverpuldien une certaine capacité à avoir inventé le téléphone arabe et, de fait, à conquérir la planète. C'est ainsi que quatre garçons dans le vent, et cependant plutôt bien coiffés, ont commencé à fredonner dans leur douche, leur chambre, leur cave, et leur rue, des chansons sur des thèmes aussi novateurs que l'amour, le sexe, le flirt, les filles, et, un peu plus tard, la guerre. Bref, que des activités purement masculines. Ces hétérosexuels avertis savaient pertinemment qu'user de leurs charmes vocaux seraient leur meilleur atout dans cette guerre impitoyable qui nous pousse continuellement vers plus d'intelligence pour séduire la fille qui est capable de nous faire oublier notre quatre heures, voire l'heure qu'il est. A la bonne heure ! Forts de cette constatation sommaire, nos quatre amis, qui répondent aux prénoms entrés à la postérité de John, Paul, George, et Ringo (dans l'ordre alphabétique ou presque), décident de se réunir assez souvent, au détriment de leurs professeurs, de leurs parents, et surtout de leurs voisins, pour qui ce bruit incessant de complaintes amoureuses sirupeuses les empêche d'écouter avec un peu de retard l'appel du Général de Gaulle, qui ne les intéresse finalement pas tant que ça vingt ans après.

Mais les Fab Four, comme certain(e)s les surnommeront plus tard, n'en ont que faire. Très vite, ces quatre liverpuldiens avides de filles faciles sortent de multiples tubes, et pas seulement pour de basses raisons sexuelles. Une énorme manne financière est également de la partie. Et, comme dans toutes ces situations historiques où les femmes et l'argent attirent les pauvres mâles que nous sommes, ceux-ci n'ont d'autre choix que de repousser les limites de ce qui existe, pour qu'on les remarque, les adule, les paye, les congratule, j'en passe et des meilleurs. Ces quatre-là devaient vraiment en vouloir. Car leur brillante carrière, qui les propulsa de Hambourg à New York, de Londres à Tokyo en passant par Singapour, était partie pour mettre à jour des procédés révolutionnaires. Tant musicalement que techniquement. C'est en effet à ce groupe de chevelus dynamiques qu'on attribue tout simplement la création de la pop-music (comprendre musique populaire). Tant de rythmiques et de mélodies qu'on dira plus tard "faciles", mais que personne n'avait pu trouver avant eux, ou du moins n'avait pu enregistrer et diffuser ! Tant de riffs entêtants et de prestations époustouflantes, aussi bien en studio que sur scène ! On leur doit la paternité et la démocratisation de techniques d'enregistrement comme l'usage de la cabine Leslie, des pistes passées "backwards" (à l'envers), et de différentes petites gâteries qui ravissent aujourd'hui n'importe quel amateur de musique, à savoir des pochettes aux petits oignons et des morceaux cachés à la fin des albums. C'est également après eux que la formation "2 guitares, 1 basse, 1 batterie" est considérée comme un standard universel.

Et nous voilà forcés d'admettre que la pop, le rock, et tout ce qui s'ensuit peu ou prou est né là, à Liverpool, entre un champ de fraises (Strawberry Field) et une rue baptisée Penny Lane. A travers l'univers, les chansons du groupe anglais ont conquis le coeur de millions de personnes. Plus d'un milliard d'albums vendus à ce jour. Et toujours un sentiment de présence très fort qui se dégage lorsque l'on a la chance de se promener dans les rues qui les ont vus grandir. Entre le Cavern Club, où ils ont joué et répété 247 fois, le coiffeur de Penny Lane, les maisons de Ringo, Paul, et les autres, il se dégage une atmosphère étrange d'intemporalité et d'universalité. Comme si ces quatre mecs avaient été des prophètes de la musique moderne. Un respect intégral pour des mecs qui ne font que le mériter. Par curiosité, par sens du pèlerinage, introduisons-nous dans un pub qui sent bon le rétro. Regardons, et écoutons.

Plus rien ne bouge, si ce ne sont les lèvres qui chantent, les mains qui frappent, les pieds qui battent la mesure, et les coeurs que les mots et les notes font cogner chaque fois plus fort.Le liverpuldien est un génie. Ce n'est pas pour rien que c'est à Liverpool que sont nés les Beatles.


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