dimanche 24 février 2008

Loft Story

Je ne pensais pas en être réduit à une telle extrémité. La conclusion de cet article est terrible, aussi vais-je la livrer dès le début : j'ai compris Steevy du Loft.

Certes, il s'agit là d'un message biens moins solennel que le célèbre "Je vous ai compris" du Général de Gaulle à Alger en 1958. Evidemment, je ne cautionne toujours pas ce genre d'émissions de télé-réalité, à supposer qu'elles soient effectivement un peu réalistes. Mais peu importe. Ce que j'ai pu comprendre, c'est le système de pensée qui peut opérer dans le genre d'expérience de rats de laboratoires que ces programmes nauséabonds, mais néanmoins télévisuels, retransmettent sans vergogne et à des heures enviées d'access prime time sur les ondes publiques de nos sphères privées.

J'ai donc compris Steevy. Vous vous souvenez de Steevy (Boulay, de son vrai nom, ça ne s'invente pas !) ? Ce dadet peroxydé, fan de Bourriquet et des rillettes du Mans, dont l'orientation sexuelle serait surement celle de Muriel Robin si elle était un homme (et si elle était capitaine d'un bateau vert et blanc), et dont le look arc-en-ciel a maintes fois rappelé à quel point le passage du noir et blanc à la couleur avait été bénéfique à l'humanité. "Génération Steevy", titrait alors Télé 7 jours, montrant notre ami tenant sa peluche entre ses mains. Et c'est vrai qu'une génération entière s'identifie sans difficulté à cet ersatz de cerveau monté sur ressort, capable de fournir à la moindre occasion arguments et contre-arguments sur des sujets aussi variés que la taille d'un tournevis, la politique étrangère de l'Allemagne, le porte-avion Clémenceau, et évidemment l'adhésion au fan club de Mylène Farmer.

Mais Steevy est un homme (pardon ?) complexe et simple à la fois. Comme ce genre de formules ne veut strictement rien dire, mais que tout le monde s'y retrouve (un peu comme le "profite du jour présent, on ne sait pas de quoi demain sera fait", qui est à l'intelligence humaine ce que l'instinct est aux animaux, à savoir le laisser-passer bestial de la morale à la déraison), je la garde. En l'explicitant, puisque justement, je m'y suis moi-même reconnu.

  • Simple ? Assurément. Par son QI, cela va de soi, celui-là même dont les maxima hivernaux et estivaux ne dépassent que très rarement la température extérieure de Reykjavik, et dont il use et abuse pour donner son avis sur des sujets qu'il connaît aussi bien que son arrière-grand-père mais qui lui, a la décence et le bon goût de garder ses commentaires pour ses amis souterrains. Par sa pensée binaire également. On peut toujours s'interroger sur les motivations qui poussent un jeune d'un pays a priori civilisé comme le nôtre à vouloir à tout prix (enfin pour quelques centaines de milliers d'euros éventuellement) s'enfermer sous les yeux machiavéliques d'objectifs de télévision, que des voyeurs avides de sensationnel et repus de curiosité décadente contemplent à n'en plus pouvoir, comme une crise de boulimie d'images dont on n'aurait difficilement eu l'idée avant que George Orwell n'écrive son roman de science-fiction, 1984. Et comme souvent, bien plus prophétique et prosaïque, la réalité, impitoyable, a rattrapé et dépassé la fiction.

  • Complexe ? Oui, on doit pouvoir dire ça, et non pas seulement pour la complexité de ses goûts vestimentaires qui renverraient sans problème une femelle paon au rang de Miss Monde 2008. Non, plus sérieusement, ce type a une capacité à changer de look encore plus étonnante qu'Arturo Brachetti. Un mec qui a autant de fringues, et une telle volonté d'en changer aussi fréquemment ne peut pas être simple. On ne peut que mettre cela sur le compte de la folie cérébrale, tare s'il en est, mais qui prouve au moins qu'un semblant de cerveau existe quelque part chez cet individu. Et cela, c'est important pour que l'on puisse s'identifier à lui (voir plus loin).

Ainsi donc, malgré les quelques piques que je lance au nouvel ami de Laurent Ruquier, dont j'aimerais rendre ici hommage tant au talent hors pair qu'à ses capacités incroyables de leadership, j'ai compris Steevy. Rassurez-vous, comprendre ne veut pas dire excuser. Disons, pour être plus proche de la réalité, que j'ai compris certains aspects de sa personnalité qui ont été, à de multiples reprises, raillés, moqués, voire conspués. L'exemple qui me vient à l'esprit, ce même esprit qui est à l'origine de ce blog et en particulier de ce message, est celui, intemporel, où Steevy alla se recroqueviller de manière assez pathétique dans sa chambre, les oreilles plongées sous les hurlements tonitruants de Mylène Farmer, les larmes lui coulant des yeux comme neige au soleil, lorsque Benjamin Castaldi, assassin virtuel et digital des temps modernes, prit son temps, et notre argent (0,56€ la minute, quand même !), pour annoncer l'expulsion d'un membre du loft, deux semaines après le début de ce qui allait être un des premiers buzz médiatiques français de ce siècle. C'est dire la misère intellectuelle dans laquelle ce pays stagnait, et stagne toujours diront les plus pessimistes mais réalistes analystes, mais là n'est pas le propos. Steevy s'éloigna donc, comme pour ne pas montrer sa peine au reste du groupe. Certes, il la montrait à cinq millions de téléspectateurs, mais à supposer que l'on puisse faire abstraction des caméras, pour une fois, c'est ce retrait, si je puis dire, qui m'intéresse, et qui m'a rendu ce bonhomme définitivement sympathique et humain.

Alors que tous les autres "lofteurs" (je ne crois toujours pas que ce mot soit entré dans le dictionnaire, en tout cas ce qui est sûr, c'est qu'aucun dictionnaire n'est jamais rentré dans un lofteur, à part peut-être Steevy, justement) se réunissaient dans le grand salon Ikea, mode dernier cri en 1993, Steevy s'en allait donc vers sa chambre. Attendant le verdict, le sachant inéluctable, le groupe compact faisait corps, comme pour diluer la pensée difficile d'un départ de l'un des leurs. Steevy, lui, assumait sa faiblesse et se retirait par pudeur pour ne pas avoir à affronter une décision dont il n'était pas le maître, et qui n'était de toute façon pas la sienne, et qui, quelle qu'en fût l'issue, le dévasterait. Certes, le départ d'un des membres du groupe est quelque chose de difficile. Et Steevy, avec sa vivacité remarquable, sa répartie souvent bluffante et déstabilisante, son affectif à fleur de peau (et non pas à pot de fleurs), s'était tout bêtement (trop ?) attaché à ses complices du Loft qui devaient désormais mettre la clé sous la porte, Ikea elle aussi. Passer deux semaines complètes avec de nouveaux individus avait placé Steevy dans une sorte de paradigme intellectuel de léthargie absolue, un nuage de bonne humeur où seuls comptaient les jours ensemble, les tracas et les amusements quotidiens, délaissant provisoirement (très provisoirement) les derniers livres ou disques sortis, les cours du CAC40 et du dollar, la météo en Angleterre, les prévisions de Bison Futé, le prix du pain, j'en passe et des meilleurs ; passer autant de temps avec des gens dont vous ignoriez jusqu'à l'existence à la veille de les connaître (Monsieur Lapalisse, bonjour) ça créé des liens forts. Très forts. Etonnamment forts. Bizarrement forts. Vivre autant de petites choses, parfois insignifiantes au commun, marquent au fer rouge une relation humaine. Comme disait l'autre (c'est ce que l'on dit quand on a oublié l'auteur d'une citation, et que l'on est trop flemmard pour le chercher sur Google d'une part, et trop rigoureux pour ne pas l'attribuer crânement à Oscar Wilde d'autre part), "ce sont les petits détails qui font les grandes vies". Et voila comment Steevy a basculé d'une routine aveugle à un amas confus mais bien réel de souvenirs entassés ça et là, comme de vieux livres qu'on laisse traîner sur une table pour montrer à quel point on lit beaucoup.

Seul face aux évènements, seul face à la réalité, seul face à la disparition imminente, à la séparation insoutenable, Steevy s'est montré tel qu'on ne le connaissait pas encore, sensible et anti-conformiste. Et cela, qu'on l'impute à une réflexion volontaire ou à son instinct, ça fait de lui un mec bien, bien moins écervelé qu'on n'aurait pu le penser. La solitude du groupe priant de manière faussement solidaire pour ne pas exclure l'un des leurs n'était rien face à la solitude d'un seul "homme". J'ai donc compris Steevy. Je ne pensais pas en être réduit à cela un jour. Je ne pensais pas non plus avoir à raconter cela sur mon blog de Londres. La vie mêle parfois des choses étranges entre elles.

Et pour finir, comme dirait Oscar Wilde (à moins que ce ne soit juste moi) rappelons tout de même qu'inexorablement, la solitude, ça n'est pas fait pour être partagé.

1 commentaire:

Ben a dit…

Un bien beau post cher fellow Blogger...
On notera que bien que se mettant en retrait ce jour la, Steevie etait tout de meme assez pretentieux pour supposer qu'il ne serait pas elimine lui meme...

Generation Steevie... Ca a donne ca, entre autre:
http://www.youtube.com/watch?v=LWSjUe0FyxQ